Sylvanie de Lutèce dévoile les mystères de Paris
Bourreaux, sorcières ou Templiers, prostituées et maquereaux de Pigalle, alchimistes et francs maçons n’ont pas de secret pour Sylvanie de Lutèce. Celle qui rend hommage à sa grand-mère en accolant son prénom à la cité antique honore une mémoire méconnue mais vivante. Elle marche parmi les ombres et salue les fantômes, en voyageant dans l’envers de cette ville qui fourmille de vies parallèles.
Publié le 30 mars 2018
Silhouette gavroche, poings dans les poches, Sylvanie de Lutèce est présente à l’heure pile devant devant la fontaine Saint-Michel où elle m’a donné rendez vous. L’endroit n’a pas été choisi au hasard, c’est un haut lieu de l’alchimie parisienne. Comme le vent froid et humide gèle les os, on se dirige rue Hautefeuille, où Sylvanie propose de boire un verre au Gentleman, un pub connu des étudiants du quartier latin. On commande deux pintes et on file à l’étage, où nous poursuit la musique du bar, pour une rencontre en sons et en images.
Vivre les légendes du Paris médiéval
Sylvanie se dit enquêtrice à la Brigade du Paris Mystérieux et Insolite (la BPMI). Elle fait du tourisme pour Parisiens et parle de choses qui ne figurent pas dans les livres d’histoire. « A Paris on est très forts pour critiquer tous les touristes, mais ils connaissent sans doute l’historie du Moulin Rouge mieux que nous ! »
Sa passion : compulser les archives des grandes affaires criminelles, en se rendant par exemple aux Archives de la Police, où une petite équipe l’accueille et lui donne accès au dossier de Vidocq ou à celui du Dr Petiot qui pendant la Seconde Guerre Mondiale a abusé des Juifs auxquels il promettait de passer la frontière.
Sylvanie parle aux fantômes. Les âmes errantes de Paris lui sont sensibles. Elles existent à ses yeux au même titre, sinon davantage, que les vrais passants parisiens. Elle croit voir marcher Baudelaire dans la rue Hautefeuille et imagine les libérateurs de Paris tombés au combat sur la place Saint-Michel.
Là où les touristes achètent des crêpes place saint André des arts, Sylvanie de Lutèce voit se dresser l’ancienne église et son cimetière disparu. Un peu plus loin, voici la tourelle de Godin de Sainte-Croix, alchimiste et faux monnayeur, chez qui furent retrouvées les lettres de son amante la Brinvilliers, où celle-ci avoue avoir empoisonné son père et ses frères : l’origine de l’affaire des poisons.
De Rosny à Nice, de Nice à Paris
Les spécialistes de la capitale sont souvent des Parisiens d’adoption, à l’instar du collectionneur américain Leonard Pitt au savoir encyclopédique sur l’ancien Marais ou le Paris pré-haussmannien. Si elle a grandi jusqu’à six ans en banlieue parisienne, Sylvanie ne déroge pas à cette règle puisqu’elle a passé l’essentiel de sa jeunesse à Nice, loin de la cité de son cœur. Dans la maison familiale de Rosny-sous-Bois, celle de ses grands et arrière grands-parents, son oncle qui vit au milieu de posters de Hans Giger l’initie indirectement à l’Alchimie en lui offrant le premier guide du paris mystérieux, La ville dont le prince est un démon. A six ans, donc, elle part vivre à Nice où elle restera jusqu’à 23 ans, une longue parenthèse qui semble n’avoir pas compté pour elle, jusqu’à ce qu’elle sente la nécessité physique du retour aux sources. La voici logée au cœur de cette ville qui l’aimante, derrière la rue Grenetta, avant de migrer vers la porte de Clignancourt où elle vit toujours. Le Paris qui l’inspire est la cité ancienne, médiévale, alchimique, celle qui recouvre les six premiers arrondissements, bien que les histoires des prostituées et marlous de Pigalle l’intéressent aussi. Elle a d’ailleurs eu l’occasion de proposer des balades sur ce thème dans le cadre du festival Paris Face cachée – pour lequel elle au aussi transformé le Conseil Constitutionnel en bordel et proposé un parcours mystique dans l’église Saint-Merry, que chante Apollinaire dans un célèbre poème. Aujourd’hui, Sylvanie fait des conférences dans des bars, propose des visites ou des happenings nourris de sa connaissance de la presse d’il y a cent ans, qu’elle épluche dans la bibliothèque du quartier latin où elle travaille.
Sa vision de la Fontaine Saint-Michel
A la fin de notre entrevue, sortis du Gentleman, nous voici de retour sur la place Saint-Michel, où j’ai droit à une conférence personnalisée sur la dimension alchimique de cette fontaine construite en 1860 par Davioud, architecte d’Haussmann et auteur d’un éphémère Palais du Trocadéro. Jamais cette façade ne m’était apparue sous cet angle mystique. Une scène étonnante s’y joue, sculptée par Francisque Duret : deux dragons encadrent un combat entre Saint-Michel et le Diable terrassé, tandis que l’eau sortie de la pierre philosophale, fendue en son centre, s’écoule sur les trois marches de la fontaine. Sylvanie continue à s’emporter lorsqu’elle désigne l’impact d’une balle qui aurait percé l’aile d’un des griffons et proviendrait d’un char allemand passé par là en 1944. Que son hypothèse soit vraie ou fausse, elle alimente les légendes d’un Paris enfoui auquel on peut songer sans fin.
Son site : http://histoiredeparis.wixsite.com/sylvaniedelutece
Avec plaisir !
Merci pour cette belle ballade!