Le mystérieux rhinocéros des Tuileries
Quinze ans avant que ne soit installée la statue du rhinocéros d’Auguste Caïn au jardin des Tuileries, un rhinocéros apparaît au même endroit sous la plume de Lautréamont.
C’est l’histoire d’une prémonition littéraire, un rhinocéros mystérieux qui apparaît, fuit et reparaît au fil du temps. La sculpture emblématique d’Auguste Caïn installée aux Tuileries en 1884, a-t-elle été annoncée par Lautréamont 15 ans plus tôt dans Les Chants de Maldoror, au croisement de la rue de Rivoli et de la rue de Castiglione ?
L’histoire prend place au jardin des Tuileries, aménagé au XVIe siècle sur une ancienne fabrique de tuiles et redessiné au XVIIe par Le Nôtre avec ses allées, ses bassins, ses terrasses latérales. Ce musée de sculptures à ciel ouvert compte cinq statues animalières d’Auguste Caïn. En particulier, à l’entrée de la rue Castiglione, une sculpture marque par sa férocité fougueuse : le « Rhinocéros attaqué par un tigre », voire « par deux tigres », puisqu’un tigre attaque le flanc du rhinocéros et que l’autre est coincé sous sa corne. Hélas, l’œuvre est actuellement recouverte d’une bâche sombre, dans un espace inaccessible pour cause de restauration.
Cette sculpture en bronze réalisée entre 1882 et 1884 fait-elle écho aux Chants qui inspirèrent les surréalistes ? Y a-t-il une dimension prothétique du texte, comme lorsqu’Eluard écrivait en 1929 que « La terre est bleue comme une orange », vision spatiale de la Terre annonçant celle des astronautes de la mission Apollo 13 se rendant sur la lune en 1969 ?
C’est ce que laisse à penser un livre de Jean-Jacques Lefrère, L’album Lautréamont, qui précise : « Il y aurait donc, dans ce chant VI, une juxtaposition de décors réels (les immortelles de la colonne Vendôme et du Panthéon) et de sources « impossibles ». Les Chants ont été imprimés en 1869, soit quinze ans avant que les promeneurs du jardin des Tuileries puissent admirer le rhinocéros de Cain. »
Au sixième et dernier des Chants de Maldoror, un rhinocéros incarnant « le Tout-Puissant » apparaît « couvert de sueur », « haletant, au coin de la rue Castiglione », avant d’être abattu. A la toute fin du texte, Lautréamont invite le lecteur à se déplacer pour s’assurer de la véracité de son récit : « allez-y voir vous-même, si vous ne voulez pas me croire. » Oui, allez y voir, vous aussi, dès que le rhinocéros se rendra à nouveau visible.
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