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Petite histoire des cafés littéraires
du 6ème arrondissement

Les cafés du sixième arrondissement sont connus pour avoir accueilli la fine fleur de la littérature et des arts. On pense à Saint-Germain-des-Prés, bien sûr, mais aussi à Montparnasse… Du Procope (1686) qui vit éclore la réflexion exaltée des Lumières, au non moins illustre Café de Flore (1887) dont le prix récompense un jeune écrivain talentueux, parcours chronologique – et non exhaustif – au fil de cinq lieux d’effervescence artistique, littéraire et politique du 6ème.

 

Le Procope – 1686

Le Procope est tout simplement l’un des plus vieux cafés de Paris. Il est connu pour avoir été le théâtre de bien des projets marquants, comme la rédaction d’articles de l’Encyclopédie par Diderot, la préparation de la constitution américaine par Benjamin Franklin, ou ce mot d’ordre lancé le 10 août 1792 d’attaquer le palais des Tuileries.

« Ce fut dans cet établissement que les Parisiens prirent pour la première fois des glaces », lit-on dans Les cafés artistiques et littéraires de Paris, une monographie écrite par Auguste Lepage en 1882. Sa réputation tient aussi au café qu’on y consommait. Cette denrée nouvelle avait été importée à la cour de France à la fin du 17ème siècle par l’ambassadeur de Turquie Soliman Aga, avant d’être vendue dans les établissements auxquels elle donna son nom.

En 1686, le cuisinier sicilien Francesco Procopio dei Coltelli, arrivé en France seize ans plus tôt, acquiert les murs d’un café qui devient vite l’un des plus courus. On y parle littérature au 17ème siècle, où c’est une succursale de l’Académie, philosophie au 18ème siècle quand Voltaire, Rousseau et Diderot s’y rencontrent, politique à la Révolution où c’est un club dirigé par Hébert, littérature et politique, ensuite,  au 19ème, avec Sand, Musset, Verlaine ou Anatole France, tandis qu’au 20e siècle Gambetta y jette les bases de ses réformes sociales.

Certes, le lieu est aujourd’hui plus touristique que littéraire ou philosophique. On y admire les portraits peints du rez-de-chaussée, la reproduction de la Déclaration des Droits de l’Homme, le chapeau de Napoléon ou les inscriptions « Citoyens » et « Citoyennes » aux portes des toilettes. Vous y accédez par la rue de l’Ancienne-Comédie ou par le passage de la Cour du Commerce-Saint-André, face à la somptueuse Cour de Rohan que borde un pan de l’enceinte Philippe Auguste, rare vestige du Paris moyenâgeux.

Enfin, comme le Flore ou les Deux Magots, le Procope a aussi ses prix littéraires, celui de l’Humour noir, le prix Jean-Zay et, depuis 2011, le « prix Procope des Lumières » qui récompense l’auteur d’un essai politique, philosophique ou sociétal.

13 Rue de l’Ancienne Comédie
01 40 46 79 00
http://www.procope.com

Les sculptures des Deux-magots ©DR

Les Deux Magots – 1812

Mais que sont donc ces deux « magots » aussi célèbres que mystérieux ? Il s’agit des deux figurines chinoises de l’enseigne d’un magasin de soieries qui occupait depuis 1812 le 23 rue de Buci, en référence à une pièce à succès du moment, Les Deux Magots de la Chine. En 1873, le magasin est transféré place Saint-Germain-des-Prés, face à l’église qui fut la nécropole des rois mérovingiens. En 1884, la boutique est remplacée par un café liquoriste que fréquentent Verlaine, Rimbaud ou Mallarmé.

Dans les années 1920, les Deux Magots accueillent les surréalistes, avant la fameuse période existentialiste. En 1933, en réaction au Goncourt décerné à Malraux pour La Condition humaine, M. Martine, bibliothécaire de l’École des beaux-arts, soutenu par André Breton et ses amis créent le prix des Deux Magots. Leur première récompense va au Chiendent de Raymond Queneau, un roman réglé comme un opéra qui pose les bases de l’Oulipo trente ans avant sa création. On croise alors au café Elsa Triolet, André Gide, Jean Giraudoux, Picasso, Fernand Léger, Prévert, Hemingway, Bob Welch, Sartre ou Simone de Beauvoir. Depuis cette époque, le prix a récompensé des écrivains aussi variés qu’Albert Simonin, Roland Topor, Bernard Frank, Sébastien Japrisot, François Weyergans, Marc Lambron, Éric Neuhoff ou Michel Crépu…

Dans le film de Jean Eustache La Maman et la Putain, c’est à la terrasse des Deux Magots que le personnage d’Alexandre, incarné par Jean-Pierre Léaud, rencontre celui de Veronika. Le restaurant sert aussi de décor aux Aventures de Rabbi Jacob et à une scène d’Intouchables, l’immense succès de l’année 2011.

Aujourd’hui, les garçons toujours habillés d’un rondin noir et d’un tablier blanc, plateau à la main, servent le monde des arts et de la littérature comme celui de la mode et de la politique. On y déguste toujours le chocolat à l’ancienne, tendre et mousseux, préparé avec de vrais carreaux de chocolat.

6, place Saint-Germain-des-Prés
01 45 48 55 25
www.lesdeuxmagots.fr

La Closerie des Lilas – 1847

Boulevard du Montparnasse, à la naissance des jardins de l’Observatoire, une terrasse végétale donne son nom à ce haut lieu de la littérature. Avec le Dôme, la Rotonde, le Select et la Coupole, la Closerie des Lilas est l’un des cafés d’artistes et d’intellectuels qui ont animé la vie de Montparnasse, autour notamment du carrefour Vavin, le « nombril du monde » selon Henry Miller.

La première Closerie des Lilas fut construite par François Bullier en 1847, ainsi nommée en référence à La Closerie des Genets, une pièce jouée à l’Ambigu Comique : François Bullier planta des lilas et créa « le bal Bullier » à l’emplacement actuel du CROUS. Voisin immédiat du bal, un relais de poste devint le lieu de rassemblement des danseurs et fut rebaptisé en 1883 « la closerie des lilas ». On y rencontre Zola, Cézanne, Théophile Gautier, Baudelaire ou les frères Goncourt.

Au début du 20ème siècle, Paul Fort, plus tard élu « Prince des Poètes » à la suite de Verlaine, Mallarmé et Léon Dierx, y joue aux échecs avec Lénine… Il crée les « Mardis de la Closerie », un rendez-vous intellectuel de renom où les poètes échangent et déclament des vers à l’assemblée. Apollinaire ou Jarry se joignent à eux, bientôt suivis par les peintres du Bateau-Lavoir qui viennent de Montmartre jusqu’à Montparnasse pour se mêler aux poètes de la Closerie.

En 1922, une dispute entre André Breton et Tristan Tzara marque la fin du mouvement Dada. Puis, alors que sévit la prohibition aux États-Unis, la Closerie devient un haut lieu de l’intelligentsia américaine, avec des écrivains comme Hemingway, Fitzgerald ou Miller qui font la réputation de Montparnasse. C’est d’ailleurs à la terrasse du restaurant que Fitzgerald fait lire le manuscrit de Gatsby le Magnifique à Hemingway, ce chef d’œuvre publié en 1925 et plusieurs fois adapté à l’écran.

Depuis 2006, le jury du prix du livre incorrect s’y réunit au début de chaque année.

171 Boulevard du Montparnasse
01 40 51 34 50
http://www.closeriedeslilas.fr

La devanture de la Brasserie Lipp ©Arnaud-25

Lipp – 1880

 Si la brasserie Lipp a été fondée en 1880 par un Alsacien, garantissant des produits de qualité à prix bas, cervelas rémoulade, choucroute et bières, elle n’en est pas moins devenue un temple du Tout-Paris où l’allure du client détermine sa place dans le restaurant : « l’enfer », la salle de l’étage, « le purgatoire », au fond, ou « le paradis ». François Mitterrand était un habitué de l’établissement où l’on croise toujours des stars de la politique, de la mode ou du cinéma. C’est aussi là que se sont rencontrés Georges Pompidou et Valéry Giscard d’Estaing le 7 septembre 1965, lors d’un dîner de réconciliation très fameux. Les parlementaires des deux chambres y déjeunent toujours. Pour faire en sorte qu’ils ne ratent pas leur rendez-vous, l’horloge avance de sept minutes, la durée du trajet pédestre qui les sépare de l’Assemblée Nationale ou du Sénat…

Mais Lipp est aussi le restaurant où se retrouvent les auteurs, les éditeurs et les écrivains. Saint-Exupéry, Picasso et d’autres grands artistes étaient des habitués de la brasserie, tout comme nombre d’acteurs célèbres, à l’image de Jean-Paul Belmondo ou de Jean-Pierre Marielle.

Voisine des Deux Magots et du Flore, Lipp décerne aussi depuis 1935 un prix récompensant un auteur n’ayant jamais eu d’autre distinction littéraire, le Prix Cazes, du nom de Marcelin Cazes, originaire d’Auvergne, qui reprit la direction à la suite de Léonard Lipp. Le 24 avril 1987, à l’annonce du décès de son fils Roger qui lui avait succédé, tout un pan de l’intelligentsia française était en émoi. Parmi les lauréats du prix Cazes, on peut citer Marcel Jullian, Jean-Paul Enthoven, Gilles Lapouge, Edgar Faure, Ollivier Todd, Éric Olivier, Jean Chalon ou François de Closets.

À partir de 1990, le groupe Bertrand reprend progressivement Lipp. Claude Guittard, directeur de la brasserie, se souvient des débuts : « Lorsqu’elle signe en 1880 le bail à Léonard Lipp, la veuve Moureau ajoute une clause résolutoire. Le service ne doit être fait que par des hommes. Cent trente ans plus tard, nous n’avons pas dérogé à la règle. Leur uniforme non plus n’a pas bougé : rondin, gilet, tablier blanc et un numéro sur chaque serveur, de 1 pour le plus ancien à 23 pour le dernier arrivé. »

151 Boulevard Saint-Germain
01 45 48 53 91
www.groupe-bertrand.com/lipp.php

Le Flore – 1887

Sur le modèle du prix des Deux Magots, Frédéric Beigbeder crée en 1994 le prix de Flore pour récompenser un jeune auteur au talent jugé prometteur. Le café sert d’ailleurs de décor au film de l’écrivain, L’amour dure trois ans (2012).

Le café doit son nom à une sculpture de la déesse antique Flore située de l’autre côté du boulevard. À la fin du 19ème siècle, Charles Maurras, installé au premier étage, y rédige Au signe de Flore et crée la Revue d’Action française en 1899. Vers 1913, c’est le rez-de-chaussée qu’investit Guillaume Apollinaire : avec son ami André Salmon, il le transforme en salle de rédaction, avant d’y créer la revue Les soirées de Paris. En 1917, à la terrasse du Flore, Apollinaire crée les conditions de la naissance du surréalisme, en organisant la rencontre entre les jeunes Aragon et Breton qui animeront quelques années après ce mouvement dont il invente le nom.

Dans les années 1930, le Flore est le lieu de réunion du Paris littéraire et artistique : Georges Bataille, Robert Desnos, Léon-Paul Fargue, Raymond Queneau, Michel Leiris y côtoient Derain, les frères Giacometti, Zadkine ou encore Picasso. Le monde du cinéma et du théâtre ne sont pas en reste : Marcel Carné y croise Serge Reggiani, Jean-Louis Barrault y mène sa troupe.

Lorsqu’en 1939, Paul Boubal rachète le Flore, une nouvelle élite intellectuelle fréquente le café, en particulier Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir qui en font leur siège, comme en témoigne le philosophe : « Nous nous y installâmes complètement : de neuf heures du matin à midi, nous y travaillions, nous allions déjeuner, à deux heures nous y revenions et nous causions alors avec des amis que nous rencontrions jusqu’à huit heures. Après dîner, nous recevions les gens à qui nous avions donné rendez-vous. Cela peut vous sembler bizarre, mais nous étions au Flore chez nous. »

Des penseurs roumains s’y retrouvent aussi, Emil Cioran, Eugène Ionesco et l’essayiste Benjamin Fondane. En 1984, Miroslav Siljegovic rachète le café de Flore et la Closerie des Lilas.

172 Boulevard Saint-Germain
01 45 48 55 26
www.cafedeflore.fr

4 Commentaires

  1. Brisset

    Et Chez Natacha rue Campagne- première

    Réponse
    • Julien Barret

      Bonjour et merci pour votre commentaire. Comme je le souligne dans le sous-titre, ce dossier n’est pas exhaustif. En outre, il concerne les cafés du 6e arrondissement et non ceux du 14e, comme le bistrot Natacha qui a d’ailleurs fermé ses portes.

      Réponse
  2. Julien Barret

    Intéressant. Pouvez-vous mettre ici le lien vers votre travail ? Merci à vous.

    Réponse
  3. Daniele Philippe

    Très beau.. en ce moment je fait sur internet avec prise images les grands cafés… j’avais fait ceux là …80 images chacun

    Réponse

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