Le Procope, le couvent des Cordeliers ou les loges maçonniques : le nord du 6e arrondissement concentre une série de lieux où soufflait l’esprit des Lumières au 18e siècle. Parcours sur les pas de Diderot, Beaumarchais ou Danton, en forme de balade historique et philosophique.
Publié le 21 mai 2022
Le 6e, pépinière de sans-culottes
Il peut sembler paradoxal d’évoquer un mouvement cosmopolite né du commerce intellectuel entre l’Angleterre et la France au prisme d’un si petit territoire. Pourtant, le 6ème est la véritable « pépinière » de sans-culottes. C’est dans ce quartier que des Anglais fondèrent la première loge maçonnique et que séjourna souvent Benjamin Franklin, homme fort de l’indépendance américaine, père fondateur des États-Unis et inspirateur de la Révolution française.
Le 6e a vu grandir Diderot et Talleyrand, vivre Olympe de Gouges et Buffon, se réunir Voltaire et Rousseau, puis Danton et Marat. Pour comprendre comment se diffusent les idées des Lumières, au-delà des lieux où vécurent ses illustres figures, il faut évoquer les collèges et les universités, les imprimeries et les librairies, salons de lecture, cafés, clubs et loges maçonniques éclos dans le quartier. Si la plupart des salons philosophiques, à l’image de celui de Mme Geoffrin, étaient rue Saint-Honoré, on en compte aussi quelques-uns rive gauche, notamment celui de Madame de Condorcet, tandis que les cabinets de lecture et libraires se multipliaient quai des Grands-Augustins, comme en témoigne toujours la présence des bouquinistes.
Quelques Lumières illustres du 6e
Diderot est un enfant du 6e. Après des études au lycée Saint-Louis, le maître d’œuvre de L’Encyclopédie a vécu rue Notre-Dame-des-Champs, rue Rotrou, puis au 1 rue Taranne, à l’emplacement du 149, boulevard Saint-Germain. Sa statue, posée jadis en face de chez Lipp, a été déplacée place Jacques-Copeau.
Entre le Procope et le couvent des Cordeliers, dont le réfectoire accueillit le célèbre club de réflexion révolutionnaire, la rue de L’Ecole-de-Médecine (ex rue des Cordeliers) réunit bien des lieux où fermenta l’esprit de la Révolution française. Danton logeait 20 cour du Commerce-Saint-André, laquelle se prolongeait alors jusqu’à l’emplacement de sa statue. A quelques mètres, face au croisement de la rue de l’école-de-Médecine et de la rue Dupuytren, se tenait l’appartement où Marat fut assassiné par Charlotte Corday. Il avait établi l’imprimerie de L’Ami du Peuple 8 cour du Commerce Saint-André, à côté du Procope.
Le journaliste et député Camille Desmoulins vivait, lui, 1 rue de l’Odéon, dans le même immeuble que le poète révolutionnaire Fabre d’Églantine qui rebaptisa le calendrier. Dramaturge reconnue, rendue célèbre par la rédaction en 1791 de la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, Olympes de Gouges résidait 20 rue Servandoni (ex rue des Fossoyeurs). Entre 1763 et 1773, Beaumarchais vivait 26 rue de Condé, où il écrivit Le Barbier de Séville. Éditeur de Voltaire, il fut à l’origine de la première loi en faveur du droit d’auteur. A l’angle de la rue des Saints-Pères et du boulevard Saint Germain (ex 12 rue Taranne) se tenait la demeure du baron d’Holbach qui collabora à L’Encyclopédie. Quant au marquis de Sade, il est né en 1740 à l’Hôtel de Condé, 15 – 17 rue de Condé
Buffon habita en 1732 faubourg Saint-Germain chez Gilles-François Boulduc, le premier apothicaire du roi. Auteur d’une monumentale Histoire naturelle, il devint intendant du Jardin du roi (actuel jardin des Plantes) dès 1739. À partir de 1750, le démonstrateur du Jardin du roi Guillaume-François Rouelle, qui enseigna la chimie à Lavoisier, installa son enseigne 45 rue Jacob.
Librairies, écoles
Au Collège des Quatre Nations fondé par Mazarin, étudièrent bien des esprits brillants de l’époque, parmi lesquels le mathématicien d’Alembert, compagnon de travail de Diderot, et le chimiste Lavoisier. Place Saint-Sulpice, le séminaire Saint-Sulpice forma de nombreux prêtres et hommes des Lumières, comme l’abbé Sieyès ou Talleyrand né à côté, rue Garancière.
En 1740, à l’angle de la rue Séguier et du quai des Grands Augustins, l’Imprimerie La Bible d’Or est fondée par François Didot, qui donna son nom à une célèbre police de caractères. Antoine-François Momoro, l’animateur des Cordeliers auquel on attribue la devise « Liberté, égalité, fraternité », avait son imprimerie 9 rue Serpente. Enfin, le plus ancien cabinet de lecture parisien aurait été ouvert rue Christine par un certain Quillaut en 1761.
Salons, clubs et cafés
Le café Procope fréquenté par Voltaire, Rousseau, Diderot et d’Alembert, fut surnommé « Chambre des Communes » en référence au Parlement anglais. À l’Hôtel d’Angleterre, 44 rue Jacob, Benjamin Franklin rédigea en 1783 le traité d’indépendance des États-Unis d’Amérique avec John Jay, John Adams et David Harley, avant de le signer à l’Hôtel d’York, 56 rue Jacob, où il résidait.
Marivaux, Rousseau, d’Alembert et Diderot fréquentaient un salon réputé rue de Nesle (ex rue d’Anjou-Dauphine). Dès 1786, Sophie de Condorcet tint salon à l’hôtel des Monnaies dirigé par son mari. Elle y réunissait Thomas Jefferson, Benjamin Franklin, Mirabeau, Chamfort et Beaumarchais. Après la Révolution, le Café Voltaire, 1 place de l’Odéon, attirait comédiens, auteurs ou journalistes comme Camille Desmoulins.
Loges maçonniques
En 1725, trois Anglais fondèrent à Paris la première loge maçonnique, la loge Saint-Thomas, chez le traiteur Hurre, rue des Boucheries-Saint-Germain. En 1732, ils rejoignirent le traiteur Landelle, au 4 ou 12 rue de Buci, qui leur réserva une salle du premier étage. De 1733 à 1740 Landelle accueillit aussi le Dîner du Caveau, ancêtre du club des hydropathes, car on y contraignait l’auteur d’une mauvaise épigramme à boire un verre d’eau.
L’Hôtel de Mézières, 1 rue de Mézières, abrita le siège du Grand Orient de France entre 1774 et 1793. Voltaire, Helvétius, Marmontel, Condorcet ou La Fayette s’y retrouvaient. Entre entre 1787 et 1790, la loge des Neuf-Sœurs se retrouva à l’Hôtel de Genlis,16 rue Dauphine, avant les Cordeliers chassés du couvent en 1791.
Merci à Christian Chevalier, de la société historique du 6e, pour son aide précieuse.
www.sh6e.com
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