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Au chien qui fume

Ce restaurant installé aux abords de l’ancien marché des Halles est évoqué dans un poème célèbre d’André Breton, où celui-ci décèle une apparition prémonitoire de sa future femme, Jacqueline Lamba.

C’est une adresse mythique des Halles, à l’endroit où la rue du Pont-Neuf s’incurve sur la rue Berger. L’une de ces tables ouvertes tard le soir, qui s’approvisionnait aux étals du marché central de Paris. On y déguste toujours la fameuse soupe à l’oignon prisée à l’aube par les « forts des Halles », ces ouvriers jadis chargés de transporter les marchandises.

L’auberge apparaît au 18e siècle, disparaît durant les travaux d’Haussmann et réapparaît au rez-de-chaussée d’un immeuble de la rue du Pont-Neuf, lorsque celle-ci est inaugurée en 1867, à côté des halles de Baltard. Tout semble avoir changé entre les deux photos : moins de monde aujourd’hui, une clientèle désormais assise là où le mouvement dominait (les Halles sont parties à Rungis), une enseigne uniformisée, lumineuse et florale, qui a absorbé l’entrée du numéro 33 et la boutique de fromages, sans parler du contraste total des accoutrements.

Cette adresse au nom surréaliste a été immortalisée en 1923 par André Breton dans son poème « Tournesol », où il évoque « l’ambassadrice du salpêtre ». La voyageuse qui « marchait sur la pointe des pieds » constitue à ses yeux une apparition prémonitoire de Jacqueline Lamba, dont il relatera, dans L’Amour fou, la rencontre en mai 1934 au Café des Oiseaux de la place d’Anvers, dans le 18e. Entré deux mois plus tôt dans un « petit restaurant situé très désagréablement près de l’entrée d’un cimetière », et que le chercheur Henri Béhar a identifié avenue Rachel, Breton avait surpris une conversation intrigante : « Ici, l’Ondine ! », clame le plongeur et la serveuse répond : « Ah ! Oui, on le fait ici, l’On dîne ! » L’ondine, c’est Jacqueline, alors nageuse dans le ballet aquatique d’un cabaret parisien, Jacqueline dont la rencontre avait donc été prophétisée onze ans auparavant, dans le poème « Tournesol » que je retranscris ici :

TOURNESOL

« La voyageuse qui traversa les Halles à la tombée de l’été
Marchait sur la pointe des pieds
Le désespoir roulait au ciel ses grands arums si beaux
El dans le sac à main il y avait mon rêve ce flacon de sels
Que seule a respirés la marraine de Dieu
Les torpeurs se déployaient comme la buée
Au Chien qui fume
Où venaient d’entrer le pour et le contre
La jeune femme ne pouvait être vue d’eux que mal et de biais
Avais-je affaire à l’ambassadrice du salpêtre
Ou de la courbe blanche sur fond noir que nous appelons pensée
Le bal des innocents battait son plein
Les lampions prenaient feu lentement dans les marronniers
La dame sans ombre s’agenouilla sur le Pont au ChangeRue Gît-le-Cœur les timbres n’étaient plus les mêmes
Les promesses des nuits étaient enfin tenues
Les pigeons voyageurs les baisers de secours
Se joignaient aux seins de la belle inconnue
Dardés sous le crêpe des significations parfaites
Une ferme prospérait en plein Paris
Et ses fenêtres donnaient sur la voie lactée
Mais personne ne l’habitait encore à cause des survenants
Des survenants qu’on sait plus dévoués que les revenant
Les uns comme cette femme ont l’air de nager
Et dans l’amour il entre un peu de leur substance
Elle les intériorise
Je ne suis le jouet d’aucune puissance sensorielle
Et pourtant le grillon qui chantait dans les cheveux de cendre
Un soir près de la statue d’Etienne Marcel
M’a jeté un coup d’œil d’intelligence
André Breton a-t-il dit passe. »

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