« Le 16e est un long pays qui va de Billancourt à l’Arc de Triomphe, et qui a droit, entre le pont d’Issy et l’Alma, à un grand métrage de fleuve », écrit Léon-Paul Fargue dans Les Vingt Arrondissements de Paris, publié en 1951, soit quatre ans après sa mort. Ce long métrage qui plait au cinéma (cf. le pont de Bir-Hakeim dans Inception) déroule près de 5 km de quais, plus d’un tiers du parcours parisien de la Seine. Le piéton de Paris ajoute : « Le seizième est accroché par six ponts à la Seine ravissante et bleue, toujours en veine de sirènes et d’expositions ». Six ponts ? Il semble que Fargue ne compte pas les passerelles (Debilly) ni les ponts ferroviaires (Rouelle), puisqu’un seul pont a été construit depuis son époque (le pont aval du périphérique). Certains ouvrages ont changé d’aspect depuis (ponts de l’Alma et du Garigliano). Bref, sans même inclure la passerelle de l’Avre, extra muros, qui relie Saint-Cloud au bois de Boulogne, le 16e dispose de neuf arches sur le fleuve. S’il ne possède pas de ponts anciens comme, au cœur de Paris, le pont Neuf (1607) ou le pont Marie (1613), il a des ouvrages séduisants qui attirent l’œil des poètes ou des cinéastes, appelant l’amour (le pont Mirabeau) ou le drame (le pont de l’Alma). Suivez le cours du fleuve, de l’Alma au périphérique, vers le pays vallonné d’Issy et Meudon.
Partons du pont de l’Alma, à jamais marqué par l’accident de Lady Di. Cette large rambarde métallique sillonnée de voitures a été reconstruite entre 1970 et 1974. Quel contraste avec le pont de pierres édifié sous Napoléon III, et qui portait à ses piles quatre soldats sculptés de la guerre de Crimée : un grenadier, un chasseur, un artilleur et ce fameux zouave conservé sur une pile côté 16e. Il permet de mesurer le niveau de la Seine : gare aux intempéries, si le zouave a les pieds dans l’eau !
Un peu plus bas se déploie la fine passerelle Debilly, du nom d’un général du Premier Empire. Construite en 1900, à la même époque que le viaduc d’Austerlitz qui lui ressemble, sa courbe de métal repose sur des piles en maçonnerie. A ses extrémités se dressent des lampadaires surmontant des colonnes ouvragées en céramique.
Édifié entre 1808 et 1814, le pont d’Iéna est le plus ancien du 16e : il a été voulu par Napoléon qui lui a donné le nom d’une bataille victorieuse – mais il sera rebaptisé pont de l’École-Militaire lors de l’occupation prussienne en 1815. Reliant le Trocadéro et la Tour Eiffel, il est agrandi pour la circulation des visiteurs de l’Exposition universelle de 1900. Il porte sur ses piles des aigles impériaux et aux extrémités quatre sculptures de Bartholdi, l’auteur de la statue de la Liberté, représentant des cavaliers gaulois, romain, arabe et grec.
Si le pont de Bir-Hakeim porte le nom d’une bataille, on peut préférer son appellation de viaduc de Passy. Source d’inspiration inépuisable pour le cinéma, avec son côté rétro-futuriste encore accentué par les échafaudages, il est doté d’un double tablier métallique laissant passer le métro au-dessus des piétons et des voitures. Une première passerelle avait été construite pour l’Exposition universelle de 1878, et c’est à la suite d’un concours qu’il a été reconstruit en 1905.
Ensuite apparaît le pont Rouelle, passerelle ferroviaire souvent inaperçue qui franchit l’île aux cygnes. Son pittoresque associe un style Eiffel à un côté champêtre. Dans sa portion rive droite, il ressemble à la passerelle Debilly, avec son arc de métal. Construit en 1901 pour acheminer par le train les visiteurs de l’Exposition universelle, il transporte des marchandises jusqu’en 1937. Laissé longtemps à l’abandon, le pont a été réhabilité en 1988 pour le passage du RER C.
Si le pont de Grenelle date de 1968, un premier pont en bois y avait été construit en 1827, suivi en 1875 par un autre en fonte. Aujourd’hui, il ressemble au pont du Garigliano et au pont d’Iéna, avec son tablier en métal vert. Vu d’en dessous, il semble une autoroute inversée dont les rainures se prolongent jusqu’à la rotonde de Radio France. Au mitan du pont, la proue de l’île aux cygnes supporte la petite statue de la Liberté de Bartholdi, réplique de celle de New-York.
Voici, enfin, ce pont Mirabeau chanté par Apollinaire, dont les premiers vers ont été retranscrits sur une plaque en cuivre :
« Sous le pont Mirabeau coule la Seine
Et nos amours
Faut-il qu’il m’en souvienne
La joie venait toujours après la peine »
Il ressemble à un serpent métallique étendu au ras de l’eau, dont les miroitements jaune-turquoise dénotent avec le gris environnant. Ses piles en forme de bateaux sont ornées de quatre statues allégoriques représentant la Ville de Paris, la Navigation, l’Abondance et le Commerce. Son charme est encore rehaussé par la gare de Javel, construite par Juste Lisch en forme de pagode.
Le pont du Garigliano porte le nom, une fois encore, d’une bataille. A la place de ce pont métallique se tenait, entre établi entre 1865 et 1959, le viaduc du Point-du-Jour, avec un double tablier supportant le train de la Petite Ceinture arrivant à la gare du Point du Jour. Appelé aussi le viaduc d’Auteuil, qui faisait écho à celui de Passy (le pont Bir-Hakeim), c’est un ouvrage fascinant, digne des utopies les plus futuristes les plus réussies de la fin du 19e siècle. Lorsqu’on regarde vers l’aval, on a une vue pittoresque sur les collines verdoyantes d’Issy et Meudon, après Boulogne et l’Île Seguin.
Avec ses 312,5 mètres de long, le pont aval du périphérique, inauguré en 1968, est le plus long de Paris. Passez sous son tablier massif, sans y demeurer trop longtemps, entre deux piles de béton strié. Il ne reste plus beaucoup de pas à faire pour voguer vers la verdure promise par Issy, Boulogne, Meudon… D’autres ponts encore, vers d’autres ports.
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