Balade surréaliste
sur l’île Saint-Louis et la Cité
Par un temps pluvieux, errance insulaire au cœur de Paris, entre l’île Saint-Louis et l’île de la Cité, au fil de réminiscences surréalistes.
Publié le 20 février 2021
J’entreprends cette balade par un temps neurasthénique, où en quelques secondes le ciel de Paris se métamorphose, tantôt menaçant, bas et gris, rayonnant l’instant d’après. L’idée est de remonter le cours du fleuve pour saisir « le vent de l’éventuel », de la proue de la Cité à la poupe de Saint-Louis, du pont Neuf au pont de Sully, en passant par « le pont qui relie les deux îles ». J’ai en tête cette réminiscence inexacte des Champs magnétiques, premier recueil d’écriture automatique de Breton et Soupault. Cette passerelle sans caractère a dû marquer les deux initiateurs du surréalisme, lorsqu’en 1919 ils composent fiévreusement « ce livre par quoi tout commence », selon les mots d’Aragon.
1. La place Dauphine
La place Dauphine symbolise pour Breton le sexe de Paris, avec sa forme triangulaire marquée par une « fente qui la bissecte en deux espaces boisés » (« Pont Neuf », 1950). En octobre 1926, l’auteur dîne dans un restaurant de la place avec Nadja, où « elle est certaine que sous nos pieds passe un souterrain qui vient du Palais de Justice (…) et contourne l’hôtel Henri IV » (Nadja). Au 25 de la place, cet hôtel vient d’être racheté et transformé.
2. Le Marché aux fleurs
Breton voit le marché aux fleurs comme un pôle magnétisant toutes les possibilités amoureuses. C’est-à-dire le lieu de la passion en germe où « se prémédite et se concentre toute la volonté de séduction active de demain » (L’Amour fou).
3. Le Pont Saint-Louis
Je retrouve le passage que mes souvenirs avaient modifié, au deuxième paragraphe d’une partie intiulée Gants blancs : « Vers quatre heures, ce jour-là, un homme très grand passait sur le pont qui unit les différentes îles ». J’ai la certitude qu’il s’agit de ce pont Saint-Louis où il y a toujours un musicien pour chanter au fil de l’eau et « qui unit les différentes îles », puisque l’île Saint-Louis réunit deux îlots anciens : l’île Notre-Dame et l’île aux Vaches.
4. La place Louis Aragon.
La place récemment nommée Louis Aragon aurait pu s’appeler aussi bien Philippe Soupault, qui vécut 41 quai de Bourbon lorsqu’il composa avec Breton Les Champs magnétiques. Quant à Aurélien, le héros du roman d’Aragon, il loge au 5e étage du 45, à « la proue de l’île, vers l’aval, où la rive se termine par un bouquet d’arbres où viennent s’accouder les amoureux et les désespérés ». D’en haut il contemple le « pli du coude du fleuve », « son M veineux », en songeant à l’inconnue de la Seine, noyée célèbre dont le masque inspira le visage de Bérénice, sa muse.
5. La rue Le Regrattier
Avant de placer Aurélien à la proue de l’île, Aragon a vécu dans un immeuble voisin du 1, rue Le Regrattier, chez son amante Nancy Cunard (elle y habite entre 1924 et 1927), au nom de laquelle il tenta de suicider en 1928 et brûla la quasi totalité de sa Défense de l’infini. Au croisement du quai de Bourbon et de cette ancienne rue « de la femme sans Teste », quelle est cette statue tronquée ? Non, il ne s’agit pas d’une nouvelle égérie mystérieuse, mais de Saint-Nicolas, patron la confrérie des mariniers, dont le buste fut mutilé à la Révolution.
Pour en savoir plus sur les rapports entre Paris et le groupe surréaliste,
lire l’entretien avec Henri Béhar.
Merci pour cette belle balade, qui plus est remarquablement introduite, bravo monsieur.
Merci à vous, cher Monsieur, content d’avoir des lecteurs comme vous ! Excellente soirée.